La première notion à appréhender lorsque l’on souhaite aborder la question des rapports entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel est celle de nature. En effet, même lorsque nous parlons de « surnaturel », il est manifeste que nous connaissons antécédemment ce qu’est la Nature, ce qu’est une nature, puisque, à part faire outrage à la langue française, surnaturel signifie SUR-naturel.

 


Connaissances élémentaires requises à la compréhension du réel intelligible

Il est nécessaire de posséder une certaine connaissance en philosophie réaliste afin de saisir les notions que nous traitons sur Stageiritès, ne serait-ce que la définition des principaux concepts. La précision du vocabulaire est l’une des clés de la bonne compréhension des articles. Ceci posé, il est encore temps de reprendre un bon manuel de philosophie thomiste (R. Jolivet 4 vol, H. Collin 3 vol, H. Gardeil 4 vol) pour entrer en matière. Cette remarque introductive à ce chapitre, bien que valant pour tous les autres qui le suivront, prendra tout son sens lorsque nous auront simplement donné la définition de ce qu’est la nature. Cependant, nous désirons permettre à tout un chacun de comprendre notre étude, et c’est avec joie que nous prendrons le temps d’expliquer notre propos.

 


La nature

La nature, c’est l’essence en acte.

En effet, la nature d’une chose est cette chose elle-même (sa quiddité, c’est-à-dire son essence) en tant que principe de ses opérations1. La nature est donc ce qui fait que l’essence de l’être est telle essence et non pas telle autre du point de vue de ses opérations. Prenons un exemple trivial. Ainsi il existe une nature de chat : un chat sauterait sur une souris qui passerait dans son champ visuel, tandis qu’une nature d’éléphant ferait fuir l’immense mammifère devant la même souris. De même, l’homme possède une nature qui est proprement raisonnable, sociale et politique2. Cette nature humaine sera pour l’homme le principe de ses opérations et donc le principe actif et actualisateur de sa finalité, comme nous allons le voir.

 


La leçon du principe de causalité : la nature possède une fin ultime naturelle

Par la connaissance des quatre causes (cause matérielle, cause formelle, cause efficient et cause finale), nous savons que les causes intrinsèques (constitutives) de l’être sont la cause matérielle et la cause formelle. Ces deux causes sont exactement ce qui constitue l’essence en tant que principe (avec l’existence) de la substance d’un être. Ainsi, lorsque nous disons « la nature est l’essence en acte », c’est également dire : la nature est matière et surtout forme3.

Par la connaissance de la relation des causes, nous savons, premièrement, que la cause formelle est actualisatrice de la cause matérielle, mais aussi dépendante d’elle quant à sa limitation ; et deuxièmement, que la cause formelle est spécifique de la cause finale, et donc que la nature entière en tant que forme dans une matière est faite pour une fin spécifique à la forme.

Concrètement cela signifie que l’homme fut créé par Dieu de telle matière et avec telle forme, en vue de telle fin ultime spécifique. Cette fin ultime est donc dite NATURELLE. Cette fin ultime est désirée comme son Bien propre par la nature. Elle développe envers son bien, qui est aussi sa fin, un appétit naturel, une ordination positive

 


Autre leçon du principe de causalité : la nature possède un ordre qui lui est immanent, un ordonnancement vers sa finalité naturelle

Saint Thomas d’Aquin définit l’ordre : « Il faut dire qu’à partir de n’importe quelle cause dérive un ordre dans ses effets : puisque n’importe quelle cause a raison de principe. »4. L’homme, causé par Dieu, l’est donc dans un ordre en vue d’une fin spécifique à sa nature.

Ainsi il y a un ordre naturel et une fin ultime naturelle.

 


L’exigence de nature

La notion de nature ne peut s’exprimer complètement sans admettre en conséquence le concept d’exigence de nature, entendant par là que telle nature exige telle fin. Il existe donc en vertu des quatre causes, loi universelle et constitutive de toute la réalité, un dû ontologique5 de la nature : tout ce qui est naturel à une nature, est dû à cette même nature. « Quant à la créature, il lui est dû d’avoir ce qui est ordonné à elle, comme à l’homme d’avoir des mains […] et ici encore Dieu accomplit la justice, quand il donne à chacun selon ce qui lui est dû selon ce que comporte sa nature. »5

Donc l’homme, en tant que créature naturelle, possède en rigoureuse exigence une fin ultime naturelle.

 


La puissance active inhérente à la nature en vue de sa finalité ultime

Si l’on ne peut concevoir une nature sans la finalité qui lui corresponde, on ne peut pas non-plus la concevoir sans que cette nature ne possède en elle-même les puissances actives de cette réalisation. Il s’ensuit donc que l’homme, et toutes réalités naturelles, possèdent cette puissance active naturelle et le moyen d’atteindre sa fin naturelle sans un nécessaire secours surnaturel6. De fait, cette fin naturelle doit être atteignable par les seules forces de la nature uniquement. Dans le cas contraire, où la fin serait inatteignable, nous serions en présence d’un mal ontologique, d’une « fracture dans l’essence de l’être », c’est-à-dire d’un néant d’être (d’un non-être). Ce serait alors dire de Dieu qu’Il fait le mal, car Créateur de la nature en vue de la finalité spécifique qui lui correspond, Il l’empêcherait volontairement de ne pouvoir poursuivre son bien propre (qui est sa finalité).

« Prétendre que des fins essentielles et obligatoires sont en soi impossibles est une contradiction dans les termes : si elles sont essentielles à la nature, elles doivent pouvoir être atteintes par la nature, elles sont dues à la nature, elles sont normales et possibles. »7

 


Conclusion

Avant de parler de « naturel » ou de « surnaturel », il convient de définir clairement les premiers termes de la démonstration. Sans ces préliminaires obligatoires, nous serions rapidement déportés hors des sentiers de la vérité et de l’objectivité. Ainsi, lorsque nous serons par la suite amenés à développer d’autres notions, il sera impératif d’avoir bien à l’esprit celle de Nature et ses conséquences dans la création, celles-ci qui sont, rappelons-le, des préceptes de la volonté divine régissant le monde.

 

Thomas Audet
Pour Stageiritès

 


1 En effet tout être est constitué d’essence et d’existence, en tant que l’essence est la quiddité de la chose et que l’existence est sa réalisation dans la Réalité concrète. Exemple : un personnage de roman n’existe pas, mais j’en conçois pourtant bien une sorte d’être dans mon esprit : c’est son essence. Par contre tel homme que je connais est un être que je conçois dans mon esprit quand je pense à lui (essence), mais qui de plus, existe bel et bien (existence).
2 Thomas d’Aquin st, De Regno, ch. I, l. 20-21.
3 Cf. Aristote, Physique, II, c. 2, 194 a 13.
4 Thomas d’Aquin st, ST, Ia, q 105, a 6.
5 Ontologique : de l’être en tant qu’être.
6 Thomas d’Aquin st, ST, Ia, Q 21, a1, ad 3.
7 De la même manière Saint Thomas explique l’existence nécessaire de l’intellect agent vis-à-vis de l’intellect passif. Car pour penser en acte, l’intellect passif, nécessite par sa nature une fonction actualisatrice en tant que nature d’intellect. Thomas d’Aquin st, De anima, a. 4 pour la démonstration de la nécessité d’admettre un intellect agent; mais encore : CG, II, c. 76 ; ST, I, q.79, a. 4, ad4 ; CG, II, c. 77.
8 Pedro Descoqs SJ, Le mystère de notre élévation surnaturelle, Beauschesne, 1932, p.119, cité in Peut-il exister une politique chrétienne, Bernard de Midelt, 2011, p.44. (Pedro Descoqs fut lourdement combattu par Lubac et ses amis, notamment dans l’ouvrage Surnaturel).